En réponse au Mouvement Ettajdid sur la dette

Publié le par Dette Tunisie

Suite à un article paru dans le n°232 d'Attariq Aljadid[1], le comité de réflexion sur la dette tunisienne aimerait alimenter le débat sur la campagne menée conjointement par RAID ATTAC CADTM et la société civile qui s'approprient la question de la dette extérieure tunisienne pour en faire une question d'une grande importance pour l'avenir économique de la Tunisie. Nous procéderons à une analyse point par point.

 

I. Confusion sur l'objectif et sur le vocabulaire employé.

 

En effet, le premier argument invoqué pour renier la dette tunisienne réside dans sa qualification de « dette odieuse », dont « une partie a servi à opprimer le peuple et une autre partie a été détournée ». L’analyse est simple[...]

 

En effet, votre analyse est simple voire simpliste. Nous tenterons donc de clarifier nos propos. Premièrement, il n'est nullement question de renier la dette tunisienne mais plutôt d'agir en citoyen concerné et responsable en faisant appel à l'article 21.1 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme qui stipule que :"Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis." pour mettre en place un audit citoyen sur la dette publique extérieure de la Tunisie en faisant appel à la société civile (associations, indépendants, économistes, auditeurs,...) et à l'exécutif légitime (hauts fonctionnaires issus d'un gouvernement élu). Tel est l'appel que nous lançons depuis le début. Cet audit nécessite en effet une suspension du paiement de la dette, mais suspension n'est ni annulation, ni reniement.

De cet audit, qui pourra prendre plus d'un an, il ressortira un rapport dans lequel une distinction aura été faite entre la dette légitime et la dette illégitime voire odieuse. De là, l'exécutif, par le biais d'un referundum ou d'un vote au parlement, pourra décider ou non de l'annulation de la part odieuse et/ou illégitime. Ainsi, ce n'est pas la dette tunisienne qui est qualifiée d'odieuse comme vous le laissez penser, mais une éventuelle part qui ne pourra être quantifiée qu'après un audit citoyen que nous appelons à mettre en place. Et donc ce n'est pas une partie de la dette odieuse qui a servi à opprimer le peuple, comme vous l'écrivez, mais par définition[2] la part odieuse de la dette est celle qui a permis d'opprimer le peuple et a servi au maintient matériel de l'appareil de surveillance et de répression de l'ancien régime[3].

 

II.Interprétation arbitraire de notre engagement.

 

Les initiateurs de cette campagne sont, en effet, conscients que renier la dette équivaut à l’abandon de toute perspective d’un financement extérieur futur, mais, à les croire, ce ne serait pas plus mal. Car pensent-ils, non seulement, les bailleurs de fonds seraient complices de la dictature – la preuve en est la dégradation des notes souveraines de la Tunisie – mais, surtout, il n’y aurait rien de mieux, pour renforcer la souveraineté du pays, que de ne plus bénéficier de financements extérieurs !

 

Non, nous n'avons jamais dit qu'une annulation de la part odieuse (et non un reniement de toute la dette, voir plus haut) engendrerait l'abandon de toute perspective de financement extérieur. Nous nous reposons sur notre droit de refuser de payer une dette qui a servi à nous opprimer, mais toute dette qui a servi au développement du pays et à la création d'emplois pour les tunisiens doit être remboursée, c'est notre devoir. Droits et devoirs nous permettent d'agir sans remettre en cause un financement extérieur futur. D'ailleurs, en financiers avisés, nous aimerions que la Tunisie applique un principe fondateur de la gestion du risque: "ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier", c'est à dire diversifier ses sources de financements extérieurs.

Concernant la complicité des bailleurs de fonds, un audit nous permettra de nous prononcer sur leur éventuelle complicité. Si complicité il y a, par contre, elle n'a aucun rapport avec la dégradation de la note souveraine de la Tunisie. Nous reviendrons sur celle-ci.

 

III. "Surveiller et punir" [4]

 

Car la finance n’a pas de sentiments, et la dégradation dommageable des notes de la Tunisie ne doit pas être perçue comme une attitude défavorable à la Révolution : elle est le résultat, j’allais dire, mécanique de l’instabilité politique et des incertitudes qui ont émergé le lendemain du 14 janvier. D’ailleurs, l’annonce récente du prêt d’un milliard de dollars conjointement par la BAD et la Banque Mondiale, montre, au contraire, une attitude éminemment favorable à la révolution tunisienne.

 

Résultat "mécanique" de l'instabilité politique, la dégradation de la note de la Tunisie ne devrait pas être perçue comme une attitude défavorable à la Révolution, et c'est pourtant ce qu'elle a sanctionné. La mécanique étant régie par des équations scientifiquement exactes, le résultat mécanique nous incite à penser la finance comme science exacte, alors qu'elle n'est qu'une sous-discipline de l'économie, qui fait autant appel à la science exacte qu'aux sciences dites humaines. De plus, la dégradation de la note de la Tunisie ne concernait pas le court terme, ce qui aurait pu être justifié, mais bien le long terme, passage de Baa2 à Baa3 [5].

L'annonce récente d'un prêt de la part de la BAD n'annonce aucunement une attitude favorable étant entendu que nous sommes encore en période d'analyse de notre dette, et que l'octroie d'un prêt à un gouvernement transitoire et donc non démocratique est tout sauf respectueux de l'idée de démocratie que nous devrions nous faire. Ce sujet reste ouvert à débat bien entendu.

 

IV. Conclusion

 

La dette extérieure de la Tunisie n'est rien comparée à celle des pays européens en crise actuellement, mais le remboursement de celle-ci a un poids tel dans le budget de l'Etat que ne pas l'analyser serait comme vouloir construire une maison sur un champ de ruines. Nous appelons donc toutes les forces vives à exiger un audit de la dette extérieure de la Tunisie, pour qu'ensemble nous construisons une politique économique, notamment industrielle, plus ambitieuse qui accroisse le contenu technologique de nos exportations, cesse de jouer sur la pression des salaires et renforce les droits sociaux des travailleurs. 

 

24/05/2011

Comité de réflexion sur la dette tunisienne.

 

 

[1] que l'on peut lire à cette adresse: http://ettajdidfr.blogspot.com/2011/05/dette-culture-economique-et-gauche.html

 

[2] http://fr.wikipedia.org/wiki/Dette_odieuse

 

[3] l'épisode de l'aide matérielle de la part de Michèlle Alliot-Marie pour aider le régime à réprimer le peuple tunisien pendant la révolution devrait être suffisant à exiger l'analyse des contrats passés avec l'extérieur sur le financement d'appareils de maintient du régime.

[4] Titre d'un excellent livre de Michel Foucault qui analyse les techniques modernes d’assujettissement (articulation savoir/pouvoir).

[5] voir la page wiki de Moody's où on apprend qu'il existe une note court terme et long terme: http://fr.wikipedia.org/wiki/Moody%27s

 

 

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Commenter cet article
M
<br /> Je suis entièrement d'accord sur la nature odieuse de la dette Tunisienne, l'aspect odieux est d'autant plus visible que le dictateur est parti. Mais par contre je ne suis pas d'accord sur les<br /> raisons invoquées, la dette Tunisienne s'est faite dans un système que le Tunisien a accepté et continue à accepter sinon à réclamer. Un taux de croissance maximal, un accroissement de la<br /> consommation et une présence des investisseurs étrangers sont aujourd'hui comme hier des objectifs micro et macro économiques communément réclamées ( ce ne sont pas exactement ces termes qu'on<br /> entend dans la rue mais des équivalents plus explicites). Ces objectifs qui nous mettent dans la sphère de l’économie libérale ne s'imposent pas seulement de l’extérieur et à l’intérieur ce n'est<br /> pas seulement l'oligarchie gouvernante qui les exigent.<br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Merci pour votre commentaire. Parler au nom du peuple est chose très difficile car vous trouverez de tout, une certaine hétérogénéité des demandes. J'aurais pu dire aussi que le peuple réclame un<br /> boulot, des soins et une éducation, choses qui sont en contradiction avec l'économie néo-libérale imposée jusqu'à aujourd'hui. Mais de toute façon, je ne peux pas non plus parler au nom du<br /> peuple, je ne suis pas plus savant que vous sur ce sujet. Néanmoins, un audit nous permettra d'en savoir plus sur les mécanismes de spoliation du peuple. Le but est de savoir et d'apprendre de<br /> nos erreurs. <br /> <br /> <br /> <br />